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La Maison :: Fermer les portes :: Vestiges :: Les Contes Ébréchés
Pleure, tu pisseras moins [libre]
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Invité
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Sam 7 Oct - 17:53

Les yeux rivés sur la porte couverte de graffitis qui me fait face, je m’éponge les joues à grand coup de papier toilette tout en tentant de retrouver ma dignité, que j’ai de toute évidence du laisser tomber quelque part sur le carrelage crado de ces chiottes. Ça va bien faire dix minutes, maintenant, que je chiale en silence – plus ou moins – dans les toilettes. Pas que ce soit grave, ou particulièrement original, de pleurer dans les toilettes. On est tous fatalement amenés à le faire à un moment où à un autre de sa vie. Je crois. Toujours est-il que je ne suis pas la seule, à la Maison, à venir ici déverser mon trop-plein de chagrin et d’amertume à l’abri des regards. C’est souvent, lors de mes passages dans cette pièce aux murs poisseux, que des sanglots étouffés et autres reniflements me parviennent à travers les portes en bois trop fin pour retenir les bruits. Il y en a peut-être même certains pour qui c’est un rituel : un petit pipi, trois minutes de pleurs, et ça repart.

Alors non, pleurer dans les chiottes, c’est pas nécessairement une mauvaise chose. À petite dose, ça peut sans doute même être quelque chose de sain. Ou pas. Honnêtement, je dois dire que je m’en fiche. Le souci, c’est que je ne m’y prends pas comme il faut. Avec la tristesse comme avec le reste. Ça fait un mois que je suis là maintenant, et un mois que je serre les dents. Que je m’enfonce les ongles dans les paumes tellement fort que ça laisse des marques pour ne jamais flancher, pour ne montrer aucune émotion. Je ne veux pas devenir une cible.
Mais, indubitablement, j’aurais du mieux gérer mes émotions. Me faire un petit planning, peut-être. Du genre « lundi journée tristesse, je pleure dans les toilettes et me lamente sur mon sort. Mardi, je remonte la pente avec le sourire, et mercredi je prends ma douche ». Quelque chose comme ça. Ou peut-être juste que j’aurais pas du me mettre autant de pression, parce que la pression ça me réussit pas. Pourquoi je me mets la pression, d’ailleurs ? Je suis déjà dans le groupe le plus détesté de la maison des gens dont personne ne veut. Je ne vois pas comment je pourrais tomber plus bas, même en essayant.
Rien de nouveau, bien sûr, mais ça fait un moment que je retiens mes larmes et il aura suffi d’une journée un peu trop mauvaise pour que je ne contrôle plus rien. Ça craint un peu, je sais. Franchement, moi-même je me pensais capable de tenir un peu plus longtemps. Mais, pour ma défense, y a un mec qui m’a littéralement mis des bâtons dans les roues aujourd’hui. Et un autre qui m’a obligée à lui filer mon dessert, sous peine de me crever les pneus. Merde, quoi, je croyais être trop vieille pour me faire racketter. Je pensais que, à défaut d’être capable de me faire des amis, j’arriverais au moins à ne pas devenir un bouc émissaire. De toute évidence, j’ai surestimé ma capacité à imposer le respect à autrui. Ça m’en a foutu un coup.
Et puis, en poussant la porte de mon dortoir et en les trouvant tous là, les Cygnes, occupés à plier leurs chaussettes dans le plus grand des silences, y a quelque chose en moi qui a craqué. Alors j’ai refermé la porte, j’ai roulé à toute berzingue jusqu’aux toilettes, et une fois enfermée dans une cabine j’ai fini par laisser mes larmes – et mon nez – couler.

Maintenant, c’est comme si toute la tension accumulée ces dernières semaines se relâchait d’un coup. Et c’est pas beau à voir, je peux vous dire. Je tremble, je fais des bulles avec mon nez, j’imbibe de larmes et de morve des kilomètres de papier cul. On aurait pu croire que ça se calmerait, au bout d’un quart d’heure, mais plus je tente de me reprendre et plus les pleurs deviennent incontrôlables. Je renifle, je couine, je frotte du plat de la main mes yeux déjà rougis. J’aimerais bien que ça s’arrête, à présent. C’était sans doute nécessaire, ce petit pétage de plomb, mais il est largement temps que je m’en remette. C’est sûr que ça va se voir sur ma gueule, que j’ai pleuré. Autant limiter les dégâts.
Mais, malgré la totale validité de ce raisonnement, ma crise ne se calme pas et mes larmes ne se tarissent pas. Je pense à Mathilda, qui m’a sans doute oubliée maintenant – parce que, contrairement à moi, elle ne doit pas avoir besoin de se raccrocher au souvenir de notre histoire pour survivre – à mes parents qui se sont sont probablement lancés dans la conception d’un nouvel enfant. À moins qu’ils aient divorcé. Même ça, imaginer que mes parents pourraient être en train de signer les papiers de la séparation à cet instant, ça me fait chialer. Bonjour les larmes gâchées.

Et puis, tout à coup, quelqu’un entre. J’entends la porte qui grince, un bruit d’eau, une respiration. Je me mords les lèvres, jusqu’à en saigner presque, pour contenir mes bruits mouillés. Je n’y arrive pas tellement. Il est sourd, celui qui vient d’entrer, avec un peu de chance. Ou bien juste habitué aux sanglots de toilettes, ou ne se sentant pas concerné par la tristesse d’autrui. Oh, pitié, je vous en supplie, faites qu’il – ou elle - ne me demande pas si ça va. Et, si jamais iel le fait, faites que je disparaisse dans le trou des toilettes. Que je sois aspirée, pour toujours, à l’intérieur des murs de la Maison rouge.
Alcatraz


Pleure, tu pisseras moins [libre] Snow
personnage : Longue gueule patibulaire d'adulte perchée sur un mètre quatre vingt cinq de puanteur caprine. Croyez le non, Alactraz a seulement dix sept ans. Dans ses bottes de sept lieux et ses vêtements de velours, il n'affiche pourtant qu'une mine éternellement sinistre. Morose jusqu'au bout des lèvres, grinçant à chaque parole. L’œil torve, éteint ou menaçant, il traîne partout sa fatigue morale et son irritabilité foudroyante. Difficile de passer à côté de l'inquiétant Alcatraz et de son amertume, difficile de ne pas frémir quand sa voix grave s'enroule hors de sa bouche comme une lanière de cuir cloutée de sarcasmes et de cynisme. Il fait bien dix ans de plus que son âge, et ce n'est plus tant la barbe ou la carcasse massive : c'est l'air désabusé, l'étouffante et morne aura macabre qui l'entoure constamment. Prenez garde à l'ancien Chef des Cerfs. Ne vous permettez pas des aises sous prétexte que son regard est souvent vague, mélancolique, qu'il semble tout compte fait s'éloigner des vivants un peu plus à chaque jour qui passe. Jamais il ne fut plus manipulateur et amorale qu'il ne l'est aujourd'hui, ni jamais plus violent, alors même qu'il a cessé son tintamarre permanent, sa comédie faunesque. Alcatraz était bien moins dangereux quand il faisait perpétuellement du bruit. C'est désormais qu'il a plongé dans un silence lugubre, désormais que son regard est triste, que vous avez toutes les raisons de le craindre. Pour peu que vous ne soyez pas un Cerf -auquel cas, il puisera au moins dans ses réserves déclinantes de patience et d'amabilité-, évitez le autant possible. On ne sait jamais quand il pourra frapper. Avec la langue, ou bien avec les poings.

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Naufrage humain
Naufrage humain
Alcatraz
Dim 8 Oct - 14:55
La porte claque sur son passage comme une langue fait contre sa rangée de dents ; carrelage des chiottes, blanc nacré s'encrassant aux fureurs passagères. Si les toilettes étaient une bouche, il y aurait bien du soucis à se faire pour son propriétaire, tant y copulent de vermines et bouillonnants afflux. Au coin des miroirs ou à travers les murs, c'est une orgie de graffitis et de dessins obscènes barrés de phrases versicolores et de symboles étranges- on y reconnait même un grand signe de paix tagué là par Chaman, au-dessus d'un entremêlement haineux de "Richter a un balais dans le cul", "Raspoutine pue la merde accumulée de plusieurs générations","Auréoles fait pousser des champi dans les creux de ses aisselles" et autres fulgurances spirituelles dignes d'être transmises aux générations futurs, toutes emprisonnées comme au sein d'une arène par le cercle tracé. Le Grand Bouc ne dépareille pas au milieu du carnage. Il ne vient pas arranger la propreté des lieux : c'est du front qu'il s'échappe.
Il est dégoulinant de peinture et de sueur, constellé d'ocelles aux mille et une couleurs. En lieu des mains deux grands bourbiers, deux grandes louches de marais cueillie à même la créativité poisseuse des pensionnaires artistes ; du blanc cassé de son marcel déjà mis à mal par des jeux antérieurs, il ne reste guère plus que des parcelles neigeuses asphyxiées par des nuées versicolores errantes, une pluie d'arcs-en-ciels liquéfiés sur son corps. Ils lui colorent jusqu'aux poils longs des avants bras, s'éparpillent en paillettes dans sa barbe et sèchent en gaines friables dans le chaos de ses cheveux. A la rivière de boucles se mêlent autant de nuances impromptues qu'au sein des frondaisons fécondées de phalènes, cocons de peinture sèches pendants à sa crinière. Y procréent t'on quelque miracle ailé ? Partout ailleurs c'est aussi bariolé que si on avait éventré l'essence même du carnaval juste au-dessus de se tête. Luxuriance de couleurs lui pigmentant la peau, carnations fluctuantes s'entrecroisant tout à travers ses membres. Il y a comme un motif sur son visage, un entremêlement de formes qui n'est pas sans évoquer quelque signe celtique- comme une volonté de souligner la géométrie imbriquée de ses bras, et jusque dans le cou, un tracé volontaire flirtant avec les veines aussi bien que les tendons. C'est une enluminure, mais on l'a nuancé d'une constellation fragmentée, aléatoirement glissée à tout son corps en un jeu de mouchetures évoquant comme des incandescences. Quelques milliers d'étoiles piquées sur ses vêtements et à travers sa peau.
C'est donc roué de nébuleuses poisseuses que Raspoutine fait son entrée dans les toilettes, les mains collantes de peintures encore vives qui font à ses paumes des tourbillons de couleurs. Voilà ce qu'il advient des faunes quand ils s'offrent de bonne grâce aux collaborations expérimentales des Cerfs et des rongeurs artistes. Ce n'est pas faute de savoir que les idées de Chaman finissent toujours par donner lieu à quelque catastrophe ; à y mettre trop de fureur mystique, le rouquin fait toujours dégénérer sa fièvre créatrice en quelque chose de plus somptueux encore, qui les dépasse invariablement par la démesure du chaos qu'il provoque. Il y a bien trop d'intensité dans cette carcasse nerveuse à la détresse de biche- et elle est contagieuse. Voilà comment de la peinture sur chair, la sublime image contenue dans l'idée d'une toile palpitante, la volonté de souligner de vrilles délicates et de tracés déliés tous les reliefs du corps, de superposer aux linéaments de l'os et de la carne les volutes chamarrées échappées d'entre les mains d'artistes inspirés, se mue inexplicablement en bataille de peinture. Voilà comment on se retrouve, de sujet d’expérimentation, d’œuvre vivante se laissant chatouiller par les pinceaux qui courent des pieds jusqu'aux pommettes, à devenir soudain un enragé hurlant marquant aux corps adverses l'empreinte de ses mains vives. Une démence en technicolor. Sublime et incroyable. Tâche était de la partie, entraîné là par son Grand Bouc d'amis ; Sables, semble t'il, a inexplicablement su disparaître avant que tout ne dégénère vraiment, et ce n'est qu'en sortant du Dortoir retourné des Loirs que Raspoutine a pu s'assurer de son intégrité. Le visage souligné par des traits de peinture bleu, Sables inscrivait aux murs des couloirs sa créativité, saluant d'un doux sourire et d'un "Le chaos te va si bien, c'est ton meilleur habit. Ne te laves plus jamais Raspoutine" son nichoir humain, hôtel nocturne pour les faons tremblants, ancien confrère des Loirs, et complice hirsute de toutes ses bizarreries fascinantes.
Mais il ne pouvait décemment pas concrétiser le souhait de l’ami éthéré. Et c'est donc aux toilettes les plus proches que Raspoutine est venu pour se laver les mains- marquant la porte et sa poignée d'un dégueulis de couleurs.
C'est le sifflement sautillant sur les lèvres (toujours cette bonne vieille Lullaby of birdland) qu'il s'engage dans les sanitaires. S'approche d'un lavabo, sans faire à son reflet le plaisir d'une œillade (ce n'est pas le moment de passer à travers le miroir) et frotte énergiquement ses mains gluantes en y ajoutant un long filet de savon liquide à l'odeur de citron, peuplant ainsi le lavabo de couleurs fluides et de nuages de mousse. Mais avant même d'en avoir finis avec toute cette peinture lui collant à la peau, il lui vient une envie plus pressante que celle d'un récurage dans les règles de l'art. C'est ce jet tumultueux, ça vous fait vivre ailleurs une gêne toute soudaine... Coupant l'eau, c'est donc les mains humides et encore partiellement tâchées qu'il déboutonne sa braguette en se dirigeant vers l'urinoir le plus proche, gueule d'ivoire suspendue au mur à l'attention des pensionnaires valides. Toute prête à engloutir leurs cochonneries diverses.
Il s'y déverse à grands flots bouillonnants dans un soupir d'extase, un brame de contentement éraillé sur la fin. Le plaisir d'uriner n'a jamais rien de surfait. A part peut-être quand on a les doigts froids et qu'il faut bien se résoudre à orienter le torrent. Il aurait pu trouver beaucoup à dire sur le sujet si Tâche l'avait suivi jusqu'aux toilettes ; il y a toujours beaucoup à dire en compagnie du Cygne. Ils passent leur temps à aboyer dés lors qu'ils se retrouvent, en bons chiens de garde enjoués de leur groupe respectif. Camaraderie bruyante à la démesure de leur effervescence.
Celle qu'il impose à la gueule de faïence finit par se tarir, et aux mouvements de ses doigts renvoyant à sa niche ce qui ne doit en sortir qu'à des occasions bien spécifiques font écho les trilles d'oiseau ondulant à ses lèvres. Un chant d'aurore qui parvient presque à masquer le reniflement discret. Qui pourrait le couvrir si à l'oreille percée ne se terrait pas une sensibilité auditive toute particulière. ( Un frémissement caprin, presque un frisson faunesque. )
On ne la fait pas à un Grand Bouc. Il entend et il flaire. Il y a de la tristesse qui se terre ici, bien à l’abri des portes. On ravale quelques larmes et on suinte le mucus à quelques pas de lui. A bien inspirer, malgré les relents de pisse, de peinture fraîche, de vomis, de cigarettes, de glaires infectieux et de papier brûlé (et de sang, n'oublie pas ceux qui viennent s'inscrire la douleur dans la peau à coups de lames de rasoir) il lui parvient bien une effluve de tristesse. Elle a bien son odeur quand on met tout son nez à sentir, quand on se concentre tout entier à chercher ses fragrances. Petite nuance d'épice dans la transpiration. Il y a les suées de peur et la suée du spleen. Autre liqueur distillée par le corps, autre parfum piquant. Et les bruits ne trompent pas- oui, on s'obstrue la gorge de sanglots qu'on veut faire silencieux quand ils aspirent pourtant à éclater dans l'air, oui on s'étouffe dans le marais des larmes, on s'embourbe de morve. On essaie de ranger son angoisse dans un tiroir de chair, de calfeutrer les bruits dans le coffret du corps, d'y éteindre sa voix dans des voiles de membranes.
Mais ça ne fonctionne pas. Et Raspoutine n'est pas connu pour son tact ni son indifférence- il faut après tout avoir un cœur immense avec beaucoup d'espace pour pomper tout le sang nécessaire à sa carrure massive. De quoi faire gicler des litres d'hémoglobine.
C'est guidé aussi bien par cette absence de tact que par son empathie qu'il vient s'appuyer sur la cabine fermée. Sans trop y réfléchir, plutôt à ressentir. Toque du bout des phalanges aux écailles de peinture, un petit staccato mitraillant sur la porte.
Pose l'horrible question, l'interrogation ignoble et convenue qu'on aimerait pouvoir faire bouffer à ceux qui la conçoivent dans leur bouche éventée.
Avec pour l'occasion sa voix la moins tonnante, la plus douce parmi celle qu'il modèle dans sa gorge.

- Ça va là-dedans ?
Bien sûr que non. Mais il y a des paroles rituelles à prononcer pour lancer cet échange ; de mots, de hurlements ou bien encore de coups. Nul ne peut jamais dire avec certitude ce qu'on trouvera derrière une porte fermée, au sein de la Maison... Et cela vaut aussi bien d'un côté que de l'autre.

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Lun 9 Oct - 20:57
Il sent fort, le nouveau venu. La peinture, surtout, mais aussi la sueur, la crasse, et au moins une douzaine d’autres fragrances que je ne parviens pas à identifier. C’est une odeur puissante, bestiale, mais pas aussi désagréable qu’elle en a l’air quand je décris ça comme ça. Un peu comme celle qu’on trouve dans les écuries, ça sent vite fait le cul de poney mais ça a quelque chose de rassurant, de vivant. C’est tellement saisissant que ça me distrait de ma tristesse, l’espace d’un instant. Je me souviens, brièvement, du bref résumé qu’un petit Cygne m’avait fait de la hiérarchie en place dans les autres groupes : « Raspoutine, le chef des Cerfs, c’est le grand barbu qui sent un peu comme une chèvre. ». A priori, ça pourrait coller. À moins qu’il ne s’agisse juste d’un quelconque autre pensionnaire peu friand de douches, c’est pas ça qui doit manquer ici. Je ne me suis jamais tenue suffisamment proche du géant velu pour m’imprégner de son odeur au point d’être capable de la distinguer de celle de quelqu’un d’autre.

En tout cas, il ne se préoccupe pas de moi. Il sifflote, se lave les mains, va pisser – oui, dans cet ordre. Mais je ne juge pas. J’en profite pour recommencer à chialer, du coup, histoire de rentabiliser mon temps passé dans les effluves de matières organiques en tous genre. Et puis aussi parce que, pour ne rien vous cacher, je n’arrive pas trop à faire autrement. C’est ridicule, cette crise de larmes. Ça ne m’était pas arrivé depuis mes cinq ans, au moins. D’habitude, je suis plus du genre à pleurer dans mon lit, lorsque tout le monde dort, avec un coussin sur la tronche histoire d’étouffer les éventuels bruits que je pourrais faire. Chez mes parents, et en colonie de vacances, c’est comme ça que je faisais. Des pleurs discrets, ordonnés, presque mécaniques. Quatre ou cinq sanglots silencieux, et je passais à autre chose. Là, j’ai l’impression que plus je pleure, plus je pleure. Que le flot de mes larmes ne va jamais se tarir, inonder les chiottes et la Maison, et tous nous emporter à des centaines de kilomètres de là. Remarquez, ça me ferait une bonne diversion et personne ne remarquerait mes yeux rouges.

Tandis que je m’affaire à détremper le sol et à imaginer des scénarios invraisemblables, ce qui devait arriver arrive. Le sifflement s’interrompt et l’autre s’approche, vient s’appuyer contre battant de la porte. J’ai à peine le temps de me dire qu’il ne m’a pas entendue, si ça se trouve, que peut-être il aime juste bien s’appuyer contre les portes qu’il rencontre sur son chemin : déjà il prononce les mots, ceux qu’on dit dans ces cas-là, ceux que j’aurais préféré qu’il garde pour lui.

J’émets un petit rire étranglé, qui ressemble au bruit que ferait une poule percutée par un bus plus qu’à autre chose. Ça tombe bien, remarquez, parce qu’il n’y a rien de drôle. À quoi ça sert, sérieusement, de demander à quelqu’un qui pleure s’il va bien ? Quel genre de réponse ils attendent, les gens qui font ça ? Enfin, sans doute que c’est ça, le truc. Ne pas attendre de réponse en particulier, et laisser l’autre vider son sac à chagrin. Je suppose, parce que moi je suis plutôt du genre à me carapater à toute blinde quand j’entends des sanglots pour ne pas avoir à m’occuper du problème. J’ai bien assez de mal à gérer mes émotions pour vouloir mettre mon nez dans celles d’autrui. Le mec derrière cette porte est muni de meilleures intentions que moi, je dois le lui reconnaître – pas que ce soit très difficile, ceci dit. Pour saluer son effort, je lui réponds, sans toutefois ouvrir la porte.

« Ouais, super. Tu sais ce qu’on dit : c’est pas une bonne journée si t’as pas passé au moins vingt minutes à chialer dans les chiottes. »

Je ricane, d’un rire qui n’a pas vraiment l’air d’en être un cette fois-là non plus. Pourtant, c’est une bonne vanne. Enfin je trouve, moi.
Je me frotte les yeux avec le bout de ma manche, et remarque avec une certaine surprise que je ne pleure plus. Le robinet à larmes, que plus tôt j’étais bien incapable de fermer, s’est tari dès lors qu’un autre individu a amorcé un contact avec moi. Qui l’aurait cru ? Peut-être bien qu’il sait ce qu’il fait, au bout du compte, ce type à l’odeur musquée.

« Pourquoi tu sens la peinture ? »

La question m’est venue spontanément, alors même que la réponse m’importe assez peu. Ça sonne un peu faux, d’ailleurs, comme si je lisais une réplique de théâtre au lieu de la jouer. Ne vous méprenez pas : en temps normal, je maîtrise à la perfection l’art subtil du changement de sujet. Ou presque. Mais là, vous avouerez que mes options étaient plutôt limitées. J’aurais pu lui parler météo, aussi, cela dit. Ou lui demander des nouvelles de sa mère, mais ça aurait été un coup à déclencher une bagarre. Bref, ça aurait pu être pire. Et puis, s’il est pas trop con, il comprendra peut-être que j’ai simplement pas envie de lui raconter ma vie. Ni de rester seule, ou pas autant que je le croyais du moins.
Alcatraz


Pleure, tu pisseras moins [libre] Snow
personnage : Longue gueule patibulaire d'adulte perchée sur un mètre quatre vingt cinq de puanteur caprine. Croyez le non, Alactraz a seulement dix sept ans. Dans ses bottes de sept lieux et ses vêtements de velours, il n'affiche pourtant qu'une mine éternellement sinistre. Morose jusqu'au bout des lèvres, grinçant à chaque parole. L’œil torve, éteint ou menaçant, il traîne partout sa fatigue morale et son irritabilité foudroyante. Difficile de passer à côté de l'inquiétant Alcatraz et de son amertume, difficile de ne pas frémir quand sa voix grave s'enroule hors de sa bouche comme une lanière de cuir cloutée de sarcasmes et de cynisme. Il fait bien dix ans de plus que son âge, et ce n'est plus tant la barbe ou la carcasse massive : c'est l'air désabusé, l'étouffante et morne aura macabre qui l'entoure constamment. Prenez garde à l'ancien Chef des Cerfs. Ne vous permettez pas des aises sous prétexte que son regard est souvent vague, mélancolique, qu'il semble tout compte fait s'éloigner des vivants un peu plus à chaque jour qui passe. Jamais il ne fut plus manipulateur et amorale qu'il ne l'est aujourd'hui, ni jamais plus violent, alors même qu'il a cessé son tintamarre permanent, sa comédie faunesque. Alcatraz était bien moins dangereux quand il faisait perpétuellement du bruit. C'est désormais qu'il a plongé dans un silence lugubre, désormais que son regard est triste, que vous avez toutes les raisons de le craindre. Pour peu que vous ne soyez pas un Cerf -auquel cas, il puisera au moins dans ses réserves déclinantes de patience et d'amabilité-, évitez le autant possible. On ne sait jamais quand il pourra frapper. Avec la langue, ou bien avec les poings.

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Alcatraz
Mar 14 Nov - 19:26
Il y a un bruit étrange de l'autre côté de la porte, du genre de ceux qu'on ne peut émettre que par inadvertance. Impossible à reproduire quand on souhaiterait faire étalage de l’élasticité de sa voix à quelque but comique : un son incontrôlable qui ne ressemble à rien. Dissonant au possible, un pur attentat à la musique du monde. Presque indéfinissable au premier abord, à moins qu'on se donne la peine d'y mettre de grandes formes. C'est entre le rire aigrelet et le cri d'un oiseau, entre le bond vocale et son contraire, un serrement de gorge, pur dénuement du corps réduit à l'impuissance. C'est un geste à vrai dire, effectué par la voix, une gymnastique étrange de la gorge à la bouche. Un seul mouvement disgracieux alliant le jaillissement autant qu'une compression- si c'était à illustrer, on en obtiendrait seulement un gribouillis infâme. C'est bien laid de se représenter cet embrouillaminis remonter la gorge de quelqu'un comme un énorme glaire, s'extraire de sa bouche comme une pelote noiraude, obtenue par l'entremêlement de pattes arrachées des centaines de mouches. Mais Raspoutine a toujours eu une imagination trop prolifique pour son propre bien. Il donne un corps à ce bruit innommable et  le regrette presque aussitôt, déplorant le zèle infinie de sa créativité. Laisse à une part de son esprit en roue libre constante le soin d'en faire quelque chose dans l'arrière fond grinçant de ses pensées dansantes. Toujours une cacophonie étouffée dans le velours du crâne, supplantée par le torrent non moins hurlant de sa conscience. Le jour où le garçon d'En Dehors, Bartel-qui-n'avait-pas-de-barbe, cet escogriffe malaisé à la voix d'accordéon, avait pris conscience qu'il n'en était pas de même pour tout le monde, il s'était d'abord demandé s'il s'agissait là de prédispositions dormantes à sombrer dans la folie. Bartel songeait souvent qu'être fou comportait sans doute quelques avantages, parmi lesquels ne pas avoir à faire face à la réalité, être reclus quelque part et ne vivre que pour soi même, dans le floconnement salvateur des cachets. Parfois, Bartel se laissait aller à rêvasser complaisamment d'une existence en confrontation avec le monde réel, à peine rattachée à lui par quelques minces filets de sensations, des cordes minces d'idées. Il lui arrivait de souhaiter que le fracas vivant à l'envers de sa conscience déborde et l'engloutisse. Il trouvait à vrai dire une certaine volupté à ces rêves de démence. Une attractivité bien stupide, dans toute son ardeur naïve, sa mollesse prépubère. Son vœux a été en quelque sorte exaucé depuis lors. La Maison tient de l'asile, à tous les sens du terme, et les matelas fleuris de la Chambre d'Isolement ne sont pas là pour détromper cette vérité sordide, dans tout leur molletonnage emplis des cris bestiaux de plusieurs générations d'enfants aux nerfs rompus. Pas plus que ne le fait ce royaume d'aiguilles traversé de substances anesthésiantes qu'est le Sépulcre. Vallée de la mort aux longs fleuves de morphine. Et eux non plus. Les pensionnaires eux même, dégénérés en bande, meutes éclopées sauvages, cohortes orphelines bouffées de tics, de mal être.... Et enfin, pas plus que lui même ne dépareille dans ce paysage de couloirs peinturlurés, de dortoirs crasseux et d'aménagements pour les handicapés qui règnent ici en maître. Il est malade aussi. Malade de rage informulée, d'amour frustré. Malade de peur à l'idée de partir, mais tout autant quand il songe à rester. Car il n'y a pas de bonne réponse dans cet infrangible brouillard qui a happé sa vie. Tous les choix sont mauvais, toutes les paroles sont fausses ; dés le lendemain de leur conception elles peuvent s'avérer n'avoir été que des mensonges involontaires, et les meilleures décisions, hâtives ou réfléchies, se révèlent catastrophiques quelques années plus tard. Ici ou ailleurs, malgré l'ordre instauré, malgré tous les rituels, toutes les prières, malgré la dévotion, les petits bouts de phalange, les amulettes de chance, de protection, les soulageantes escapades en Envers... il n'y a dans l'univers qu'un prodigieux chaos. Sur lequel aucun ordre patiemment conçu ne peut vraiment régner, qu'il ait été instauré par les guerres ou par les Sacrifices. Ce n'est pas l'Ordre qui a voulu qu'il se trouve dans ces toilettes à ce moment précis. C'est la poussée du hasard engendrée par les entrechoquements d'évènements aléatoires répercutés tout au long de la journée, et sans doute bien avant, qui l'a mené ici. Peut-être ce flux de hasard est il traversé par une causalité qui lui échappe, mais Raspoutine est plus enclin à penser qu'il n'y a absolument aucune logique prédéterminée ou construite à ce qu'il advient dans la vie des individus ; à plus forte raison dans la sienne. Qu'on ne peut guère se fonder sur les œuvres de la raison pour prévoir quoique ce soit, et moins encore escompter des réponses de l'instinct. C'est une manière un peu lâche de concevoir les choses, sans doute, pour se déresponsabiliser, éviter des cogitations certes inutiles, et des remises en cause éreintantes. Mais Raspoutine ne parvient à de pareilles conclusions que dans ses jours les plus moroses, quand il ne lui est plus possible de supporter l'absence de Banshee et les incertitudes. Quand l'idée d'avoir à choisir un avenir parmi les possibles qui se profilent à lui devient plus qu'une panique, et qu'une intense nausée s'installe dans ses viscères, remonte à ses papilles, à la seule pensée de ces futurs probables. Le reste du temps, il ne songe pas aux œuvres du destin, du hasard ou de la causalité ; il agit par foucade, et déclame spirituel, dans une étrange alchimie de raisonnements poussés et d'actes pulsionnels.
C'est ce qui l'a conduit au beau milieu des Loirs aux galaxies de peinture. C'est qui l'amène à s'appuyer aux portes desquelles parviennent des bruits de sanglots ou d'autres plus étranges, lui faisant reconsidérer ce qu'il est possible d'articuler ou de produire de son par le concours de l'air et des contractions parcourant toute une anatomie. La part de lui la plus joueuse et la plus immorale voudrait demander à l'inconnue des toilettes de faire machine arrière pour lui permettre une analyse plus poussée de ce bruit absurde. Peut-être cache t'il un secret à même de redéfinir la musique des prochaines décennies ? Mais son empathie occupe le premier plan, et il se sent l'âme pleine d'une sainte sollicitude, toute débordante de bonne volonté. Peut-être s'agit il de l'un de ses faons ? Toujours à s'emmêler les pattes et les roues là où il ne faudrait pas, à errer aux couloirs en notifiant les fluctuations de pouvoir, le mille et uns évènements insignifiant ayant cours dans la Rouge ; la bataille de peinture sera inscrite aux archives, de même que les nouveaux graffitis s'étalant sur les murs, de gribouillage artistique jusqu'à la note la plus insignifiante. Ainsi font ils, les Cerfs. Aussi insaisissables que des lambeaux de brouillard, des animaux de fumée échappés d'un feu de camp. Banshee les appelait ses méduses, et ils ont de ça au fond, les Cerfs évanescents. Toujours à s'échouer à des rivages dentelés, palpitant mollement au travers leurs côtes rouges. Est-ce une méduse alors, qui clapote sur cette grève ? Un de ses faons blessés, pauvre enfant des orages à porter contre lui. Ou quelque autre perdu éveillant sa tendresse, car il en a à revendre, dans tout son inaltérable engouement canin. Maintenant que Banshee fait partie des absents, et qu'il est tout entier le Grand Bouc de son groupe.
De l'autre côté de la porte, une cogitation fait suite au bruit inepte, ce qui n'est pas sans éveiller en Raspoutine un soupçon d'amusement : ils sont forcés à faire la conversation dans le cadre bariolé et fétide des toilettes. Il les a piégé par son intervention dans ce lieu moite aux relents de merde, théâtre imposé de leur échange aveugle. Difficile de préserver sa dignité dans cette situation ; lui même prend d'ailleurs conscience d'avoir soulagé sa vessie avec une satisfaction on ne peut plus audible, sans pour autant être repassé par le lavabo avant de venir tirer l'inconnue de ses sanglots. Diable, ses manières sont aussi terribles que son apparence. Ce n'est plus à prouver ceci-dit, et il n'aura pas à lui serrer la main pour se présenter ; cette porte est bien accommodante tout compte fait. En plus d'offrir à son épaule une paroi contre laquelle peser, elle sauve un peu les restes d'hygiènes qui palpitent encore à travers la Maison- notion mourante et volontiers reléguée au dernier plan, entre ces murs suintants. Les pellicules de crasse entretissées de fumée sont comme une deuxième peau pour la plupart des gosses. Lui même ne dépareille pas tant par sa saleté que par le fumet qu'elle exhale, au final. L'autre l'a sûrement remarqué, si les relents de brenne tiède n'ont pas masqué son odeur, bien que d'après certaines mauvaises langues cela relève tout bonnement de l'impossible. On se laisse dire que même un paquebot débordant fumier ne saurait y suffire. L'inconnue derrière la porte a sans doute son avis sur la question, mais le lui demander en l'instant ne serait pas très correct. D'autant plus quand il a déjà osé une question stupide. Après tout, peut-être est-ce un rat armé qui se terre derrière la porte ? Ruminant sa tristesse dans ces lieux qui tiennent un peu de l'égout, prêt à sauter au visage de l'importun Grand Bouc. Ce ne serait pas le premier. Il pourrait même s'agir bientôt d'un sport nationale, si la situation persiste à se dégrader. Ce ne serait pas sans déplaire à certaines personnes.
Mais la porte reste fermée, le bruit n'est pas réitéré (dommage je suis certain que j’aurais pu y découvrir une musique secrète), et on lui fournit même une réponse qui se veut spirituelle. Raspoutine lâche un rire bref, caverneux, enchanté du retour. Il se félicite qu'on se donne la peine de lui opposer une répartis de ce genre ; cela le rassure quand au bien fondé de son intervention. Tout du moins distrait-il l'inconnue des toilettes de sa tristesse plutôt que de l'aviver ou de provoquer son ire. Or, c'est l'une des attributions de son rôle de Grand Bouc, qu'il ait affaire ou non à l'un de ses faons, que d'être attentif aux chagrins des enfants, que de leur faire l’offense salvatrice de sa présence, que de faire galoper leur imagination et crépiter leurs nerfs. Déjà les sanglots se tarissent de l'autre côté de la porte, et malgré l'étrange éclat de rire, décidément semblable à quelque bruitage lovecraftien lui faisant redouter d'avoir à faire à un pensionnaire particulièrement déphasé (du genre de ceux de Sommeil, bon dieu Sommeil), Raspoutine se prend à sentir un sourire sur ses lèvres. Il lui faut bien s'avouer une chose : s'impliquer dans la vie des autres l'aide à avoir l'impression de posséder quelque contrôle sur la sienne. Et il a désespérément besoin de ressentir cette confiance en ses propres capacités, d'éprouver l'impression de pouvoir garder la mainmise de son existence, depuis la disparition de Banshee.  Si ses responsabilités de chef des Cerfs lui pèsent parfois, elles ne lui en permettent pas moins d'éprouver une certaine sécurité, de se rassurer quant à sa place dans la Maison. De s'oublier pour d'autres causes que celles brandies par son cœur en déroute, d'abjurer sa passion blessée et ses désirs en liesse, qui s'enveniment d'un opposé à un autre. Ce nouveau rôle est une condamnation suivis d'emprisonnement, mais il lui confère un but plus que bienvenue. L'aide à garder le cap. Et il s'agit de la volonté de Banshee que de le voir associer sous la casquette de gardien du troupeau des couronnés de la Rouge, sa sulfureuse aura faunesque à celle du bienveillant géant qu'il a toujours incarné, par envie ou devoir, pour les plus jeunes et les plus vulnérables des autres pensionnaires. Or, on ne discute guère la volonté de Banshee, absent ou pas. Raspoutine peut affirmer sans honte, ni crainte, que le Cerf Blanc le connaissait mieux que lui même ne pourrait y prétendre. Qu'il avait la légitimité  suffisante pour l'orienter sur une voie plutôt que sur une autre, qu'en raison de sa tendre omnipotence, il était à même de savoir ce qui serait le mieux pour les êtres pris dans son orbite lunaire, prisonniers volontaires de son indéfinissable magnétisme. Banshee ne se serait pas contenté de sécher les larmes de l'inconnue en captivant son attention : il l'aurait fait sortir de son château de pq et l'aurait possédé d'un sourire délicat, de quelques mots onctueux, l'enchaînant à jamais à sa marche de grue. Il l'aurait attaché à ses traces avec évanescence, entortillant son cœur à l'ombre de ses pas. Raspoutine ne peut pas en faire tant, et ne le demande pas. Aussi immense soit-il, il n'aspire tout compte fait à être qu'un architecte de l'infime valsant d'une cause perdue à l'autre. Il n'y a pas que sur le devant de la scène qu'il faut s'éparpiller. A ses abords et sous ses planches, il y a aussi à faire. Jusque dans les toilettes.
Pour ce grincement de voix, cette réponse qui chuinte, il se fend donc d'un rire tout cascadant de braises, au sein duquel s'entrechoquent des billes de feu et de cendres. A son tour de saluer l'effort qu'on lui concède, puisque l'inconnue de la porte -il sait désormais qu'il s'agit d'une fille- lui fait la grâce d'une répartie. Il s'applique alors à nourrir également leur échange. A la mettre en confiance. Raspoutine a toujours su charmer les êtres en déroute et les animaux blessés. Il a été celui qui, à Bâton-Rouge, a mis une vie constante dans le repaire des brouteurs de fumée ; ses amis bariolées, la bande de Brocéliandre. Recueillant un chien errant renommé Cardinal (qui se mettait toujours à pousser des pleurnicheries déchirantes et lupines en passant devant les églises) et enjoignant des chats de gouttière à s'y installer pour y faire leurs portées. Bartel avait un don avec les bêtes et les taclés du grand chemin de la vie, boitillant à l’écart avec leurs yeux craintifs, humides, semblables à des blessures où plongeait son regard, dans une auscultation empreinte de bienveillance. Raspoutine a préservé et développé ce don. C'est ce qui lui doit en partie l'affection des plus jeunes pensionnaires- il a toujours excellé dans le rôle de grand frère, de gardien, à défaut de savoir s'attacher la sympathie des adultes. Ses conseils ne sont pas toujours avisés, mais sa bonne volonté et son ardeur à la tâche sont impossibles à démentir. C'est toujours avec conviction qu'il donne le meilleur (et parfois donc le pire) de lui même. On s'attire plus aisément sa sympathie que sa colère, et on éveille plus volontiers sa tendresse que l'on irrite sa sensibilité ; seuls restent constants les pics d'outrance l'électrisant au fil de ses échanges. Raspoutine n'a pas le talent de Banshee pour s'attacher la loyauté d'autrui. Mais il a malgré tout un indéniable quelque chose, une chaleur accaparante à laquelle on peut aussi bien trouver du réconfort que matière à s'exaspérer. Il est ce feu salvateur, de camp, de cheminé, qui apaise tous les maux et incite aux rêveries, accouché en braises propices dans les cercles de pierre. Il est aussi cet été moite, trop lourd et intrusif, qui fait la peau tourbeuse, le corps en marécage. On sait à le sentir, rien qu'à l'entendre parler.
Au fond il est aussi facile de l'aimer que de le détester. Aussi aisé de lui cracher au visage que de se laisser couler dans l'une de ses étreintes. Il n'y a qu'un pas infime d'une réaction à l'autre. Raspoutine appelle tout autant à la sympathie qu'à la férocité. Car l'on sent confusément qu'il est capable de la plus grande tendresse comme de la plus abjecte brutalité- qu'il est fait de nuances infinies, toutes éclatantes à leur manière, à vous en faire chopper un sacré mal de crâne. Qu'on peut le craindre ou l'aimer à raison. Et la réputation de Grand Bouc qui le précède n'est pas là pour détromper qui que ce soit à ce sujet.
Mais peut-être l'inconnue des toilettes n'a t'elle rien devinée de son identité. Peut-être ne prête t'elle pas une oreille attentive et mesquine aux rumeurs qui circulent ; elle pourrait faire partie de cette faune éthérée qui parcourt les couloirs sans porter d'attention ni aux murmures, ni aux graffitis proclamant autant d'injures que d'annonces spirituelles, de beaux mots que de pensées volantes, piégées au sein de plâtre. Il y en a des comme ça,  peinant à maintenir une existence physique. Qui s'oublient volontiers pour hanter la Maison. Des Chaman, des Sommeil, qui découvrent toujours avec un temps de retard les évènements ayant cours en dehors de l'Envers et de leurs rêveries diurnes. Mais un être pareil ne viendrait pas pleurer dans les toilettes. Il attendrait l'Envers. Alors peut-être est-ce une nouvelle venue ? Une non-initiée. Qui n'a encore que faire de savoir si elle parle à un rongeur, un cervidé, un emplumé ou bien même un adulte. Et le doute est permis.
C'est qu'il n'a pas une voix pouparde. Bien au contraire, les décibels ronronnent au gré d'inflexions mâles, de basses profondes, onctueuses, qui vous caressent l'oreille et vous peuplent le ventre. Des nuances de brasier étouffé dans le velours. Une voix d'hypnotiseur. Crépitante comme du vieux bois et profonde comme l'abîme- à l'image de tout le reste chez lui, elle ne dit rien de son âge. Car Raspoutine est semblable à un accordéon dont chaque extrémité produirait à son pôle une musique différente. Tout dément et confirme à la fois sa jeunesse, tout chez lui implique une maturité qu'il possède à demie, comme par intermittences. Il est antique et juvénile à la manière des faunes. Entre automne et printemps. Jamais tout à fait accomplis en l'une ou l'autre chose, mais toujours profondément investie en chacune.
Comme il se donne tout entier à cette nouvelle mission. En cours d'accomplissement, puisque les larmes qui l'ont attirées sont désormais taris, ou du moins inaudibles. Et que plutôt que de l'envoyer se faire foutre, elle le questionne à son tour. En un juste retour.
Ainsi, ce serait bel et bien une conversation entre lui, l'inconnue, et la porte des chiottes. Il n'y voit aucun inconvénient- après les évènements qui ont secoué dernièrement la Maison, il s'agit là d'un répit plus que bienvenue, d'une rencontre mystérieuse qui n'augure cette fois aucun malheur à venir. Un précieux moment de jeu, de découverte mutuelle.
Il se met donc à l'aise, glissant contre la porte jusqu'à poser ses fesses sur le carrelage crasseux, sans porter d'attention à la saleté des lieux. Ce soir, ces toilettes seront peut-être devenu un merveilleux champs de fleurs. Ou bien un marécage. Ou une station service. Tout dépendra de l'Envers qui les contaminera.
Il ne laisse cependant pas le silence s'éterniser comme il le fait parfois au gré des discussions, ni n'évoque ces images comme il se le permettrait en la compagnie de Sables.

-  Tu as le nez fin dis donc, approuve t'il tout d'abord. Ce n'est pas l'odeur de la peinture qu'on sent en premier lieu quand j'approche de quelqu'un. Enfin, je ne suis pas habituellement recouvert de peinture, ce qui joue certes également. Mais c'est  drôle que tu me questionnes à propos de ça ; c'est l'odeur de ta tristesse que j'ai d'abord senti. Et NON, ne ris pas, ça a bien une odeur, la tristesse. Sans doute aussi un goût ? Puisque d'après ce qu'on dit, la peur donne à la viande une toute autre saveur. Mais je ne compte pas essayer de te mordre pour le vérifier. Ce serait foutrement malpolis de ma part. Puis il faudrait que je défonce la porte- juste fatiguant après le foutoir des Loirs.
<< Ceci dit, pour ta question... C'est une histoire pleine de bruits, de fureur et de couleurs. Tu veux vraiment l'entendre ? Elle parle de Loirs et de Cerfs égarés. De la folie des hommes, et aussi de leurs rêves
, professe t'il avec solennité. Mais elle prend fin dans ces toilettes, avec toi, avec moi, et les cafards qui nous tiennent certainement compagnie.
Ce n'est néanmoins pas aux cafards affairés à cliqueter autour d'eux qu'il fait la conversation. Ni à l'autel nauséabond des toilettes qu'il sacrifie l'un de ses petits trésors, tirant d'une de ses poches une forme irrégulière gainée d'aluminium. Crissant sur le carrelage quand il la fait passer d'un glissement sous la porte.
Tiens. Il n'y a rien qui vaille quelques carrés de chocolat après une crise de larmes. Et je sais de quoi je parle, il m'arrive également de m'isoler pour pleurer, quoique pas dans ce genre de lieux.
Il leur préfère l'Envers.
C'est ceux qui ne s'accordent jamais ce genre de petits moments qui ont tord, ceux qui restent debout même quand tout conspire à les faire s'effondrer. Ils en crèveront sans doute d'un genre de pourrissement, une lèpre intrinsèque qui leur pèlera minutieusement les entrailles comme des gousses d'ail charnues. Non ? Mais je te déconseille les toilettes pour tes vingt minutes de sanglots quotidiens... Il y a des endroits plus discrets dans la Maison, quelques recoins secrets. Ou les bois alentours ; et le plus fabuleux, c'est qu'on y respire un bon air de forêt. Penses-y, c'est sacrément plus agréable que l'odeur de la merde. Et aucun guignol ne viendra te déranger- ou bien peut-être Chaman, qui y récolte des plantes. Mais c'est un guignol charmant. Il est très respectueux de ce genre de moments, il se contentera de te laisser gentiment quelques bouts d'écorces à mâchonner ou de te préparer discrètement une tisane. Malheureusement je ne maîtrise ni l'art de la discrétion, ni celui de l'alchimiste, qui sait quelles sont les feuilles à faire infuser pour provoquer l’ivresse. J'ai d'autres qualités... sans doute.
Demande donc à Quenotte.
Alors, dis moi, à moi, ton indiscret du jour. Qu'est-ce qui t'a conduit là ? Là, aux toilettes. Là, parmi nous. Tu es nouvelle ici ? Si c'est le cas, j'imagine que tu dois avoir le sentiment d'avoir été abandonnée dans un asile de dingues. C'est difficile pour certaines personnes de trouver leur place au sein de la Maison. Pour ceux qui avaient quelque chose à l'Extérieur... Des gens, un rêve, ou un luxe dans ce goût là. Mais nous sommes presque tous logés à la même enseigne au moment des Départs... A l'exception de quelques irréductibles dans le genre de Richter. Il ne nous quittera pas en voiture mais sur un petit nuage.
Il s'autorise un rire. Puis hésite un instant sur les derniers mots qui précéderont un passage de parole. Décliner son identité lui semble indispensable pour poursuivre la conversation, puisqu'il se laisse aller à poser des questions. Il pourrait bien lui dire,
           
Je suis le Raspoutine. Le monstre du placard qui danse pour les enfants au beau milieu de ses chaînes. Je suis le Raspoutine qui fait son numéro pour faire rire les marmots effrayés par les ombres et par les bêtes hirsutes- je suis le Raspoutine, ne tremble pas, car mes morsures ne vont que dans ma propre chair et qu'aux moutons de poussière, car il n'y a qu'aux cloisons que je morcèle mes poings. Ne crains pas le Grand Bouc, car ses bêlements sont tendres, et résignés aussi. Ne crains pas les détours de sa carcasse immense, car toutes les anfractuosités qui s'y dessinent sont comme autant de nichoirs pour les moineaux blessés, et qu'il te prendra volontiers sous son aile épinglée pour te cacher de la nuit. Le Raspoutine est ton martyr imparfait aux sourires déglingués, aux incartades candides- tu ne sais pas encore que tu l'as adopté, mais il a déjà sa niche quelque part dans ton cœur, en un recoin putride ou un replis de chaleur. Tu entendras pas les complaintes du Raspoutine, tu n'entendras pas ses hululements nocturnes. Tu pourras donner au Raspoutine tes colères et tes peurs, car il est là pour ça, qu'il est sortit de son placard pour être poignardé par les regards d'enfants. Le Raspoutine est cet homme que tu ne veux pas devenir, il est cet autre en formation vers lequel tu rampes, dans ton champ bourgeonnant d'adolescence en fleur. Le Raspoutine est là pour ça, pour être votre cible, à vous qui ne voulez pas grandir ou ruminez l'avenir. Le Raspoutine est un éclatant mensonge destiné aux cœurs adolescents qui flamboiera jusqu'à la dernière heure, une mascarade grand-guignolesque pour le bien du grand nombre. C’est à la fois le père Noël, Krampus et le lapin de pâques. Le Raspoutine n'existe que parce-que tu y crois ; et nul ne sait ce qu'il adviendrait de lui si jamais on cessait de le piéger ainsi dans la cage d'un regard, dans l'abîme des orbites, si on lui permettait de ne plus être cette caricature. Sans doute se dissiperait il à la première bourrasque, accompagnant les vents au gré de leurs errances.
Mais ce serait en dire trop. En révéler plus que de raison. Or,  un peu de sobriété ne leur fera pas de mal.
Tu peux m'appeler Rasti.



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