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Visage indiscret, celui qui ne devrait pas exister - Vautour
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Mer 16 Aoû - 22:55

Visage indiscret, celui qui ne devrait exister
- Feat : Vautour
Tac.

Tac.

Et le tac tambourine, tac tactile, le tac qui tape.
Sourcils se froncent et paupières papillonnent. Lumière. Eclat. Les yeux ont du mal. Le jour est encore là. C’est dur, de sortir du sommeil, de redresser la tête quand la nuque fait aussi mal. Elle s’est laissée tomber, elle aurait sûrement glissé.
Sauf que les autres ne le voulaient pas.

Tac. Tac. Reprend la branche. Tac tac. Taquine-t-elle tandis qu’elle heurte la fine vitre.

Il faut du temps, pour ouvrir les yeux, pour réaliser la nature des lieux. Classe. La salle. Ah oui. Fantoche se rappelle. Il y a eu un cours. Ce n’est pas la première fois qu’elle s’endort pendant. Les professeurs la laissent faire, de toute manière, personne ne peut l’empêcher, sauf quand les cachets font correctement effet. Contre la table, la joue écrasée, elle serait restée là si, quand l’adulte responsable envolé, ses camarades ne l’avaient redressé. Deux, trois… leur nombre est sans importance. Leur identité non plus – De toute manière, Fantoche dormait – Elle faisait le pantin, il ne lui manquait que les fils.

Et les fils, ils avaient trouvé.

D’osier effiloché, ils l’avaient attaché. Probablement récupéré sur le corps d’un vieux panier dépiauté. Noué ses bras contre les accoudoirs, son torse étroit contre le dossier et, même ses chevilles malingres entre elles.

Tac tac. La branche se moque. Elle rit et claquette.

Trop serrée, sa peau pâle lui brûle. Chaleur latente, le temps de l’éveil. Celui qui ne survient jamais entier. Avec lenteur, Fantoche appuie l’arrière de son crâne contre le dossier. Elle a l’impression d’un poids douloureux contre sa nuque. Sûrement celui de la gravité, tandis qu’elle pendait, endormie. Ils ont sûrement joué, l’ont fait parler dans son sommeil, à sa place. Ont secoué ses membres pour en rire. Fantoche n’était plus là. Il ne restait que son corps.
Le corps.
La carcasse coquille.
L’armature délicate. Miniature.

C’est qu’elle ressemble à un modèle réduit. Ou alors, celui, plus grand, d’un poupon. Tentation exquise, désir d’en jouer, envie de jouer – Fantoche est un jouet –.
Elle ne se plaint même pas, alors qu’elle réalise la situation. Elle commence à s’y habituer. Des pas dans le couloir. Fantoche n’appelle pas. Alanguie, elle n’en a pas envie. Et le fusain poudré, qui se trouvait sur ses paupières, est tombé. Plus bas, à l’angle inférieur de ses yeux. Fantoche respire. Pour ça, elle n’a pas trop de mal. Pas de mal tant qu’elle n’a pas à inspirer profondément. Sa robe minuscule sera froissée, c’est tout ce qu’elle pense, quand elle baisse les yeux. Ce n’est pas un beau vêtement. On le croirait découpé dans une nappe. Ce n’est peut-être même pas faux. Fantoche porte les vêtements qu’on lui a donnés. Modestes. Blanc cassé. Aussi blanc que sa peau. On aurait envie de la changer, de mieux l’habiller, comme on le ferait à une poupée – C’est ce qu’elle est – Figée dans la pose qu’on lui a ordonnée. Les paupières lourdes, le regard dans le vide. Caramel noyé.

Torpide, Fantoche n’est pas prêt de le réaliser. Picotement lointains, sur le bout de ses doigts, ses pieds. Elle met ça sur le compte de son réveil difficile – ils le sont tous –. L’une de ses mèches fine, que l’on jurerait blanche, est coincée à la commissure de ses lèvres. La demoiselle n’a pas la force de grimacer pour la faire tomber. Elle ne remarque pas non plus la façon dont sa peau se met à prendre une teinte violette, là où ses poignets et ses chevilles sont attachés. Elle n’arrive plus à bouger les doigts mais, quelle importance ? Elle ne pourrait rien faire.

Peut-être que le Grand Ours passera. Peut-être qu’il la détachera.

Avant que les autres arrivent.
Les grandes ombres. Celles qui veulent l’attraper et lui. Le pire de tous.

Mais il devrait la laisser tranquille. Rares sont les fois où il vient la tourmenter au réveil. Il l’a préfère aux portes du sommeil, dans ses retranchements les plus intimes. Il l’a préfère prête à s’écrouler.
Sans la moindre force.
Entre ses longs bras noirs.

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Dim 20 Aoû - 19:49

     

     
Visage indiscret, celui qui ne devrait pas exister

     

     


Mardi – deuxième cours. Le temps parvient enfin à accomplir son rituel régulier et c’est avec bonhomie, nonchalance, que Vitold s’y abandonne. Le quotidien prenant le pas sur le reste de ses pensées amères, oubliant qu’il n’a pas sa place ici, n’a jamais eu d’ailleurs la volonté d’être ici si ce n’est d’échapper à autre chose.

La rentrée s’est déjà espacée de deux semaines qu’il sait, qu’il sent, combien les enfants sont impressionnés voire ont peur de lui. Pour la plupart des oiseaux fracassés de cette étrange SPA, l’habitude est aux cris, aux coups, au dédain, à l’ignorance mais quelqu’un comme Vitold, qui n’est pas gentil comme Ours, ou cruel, mais juste absent, silencieux, et lent, si lent quand il s’avance et corrige et questionne et vous fixe de son habituel regard brun, si profond et si absent qu’on le croirait cerne encerclé de gris et non pupille active, quelqu’un comme Vautour oui, puisque tel est le surnom qu’ils lui ont donné, ne peut que faire frémir d’angoisse.

Seulement, chez l’absent et nonchalant professeur de Sciences, l’attaque peine à survenir. La pitié aussi. Il les contemple comme un curieux contemplerait le tableau fracassé de Guernica. Essayant de comprendre le fonctionnement de ces pièces rapiécées, rapportées, qui jouent encore à être des enfants. Ils n’en sont pas. Ils sont cruels, volontairement cruels, quand la cruauté s’applique à dessein sur ce que les adultes permettent d’appliquer sur eux. Ils sont fouineurs, plus que curieux. Ils sont voleurs, plus qu’entreprenants. Ils ne sont pas ces enfants sages innocents qui découvrent et testent les limites – ils sont la limite. La limite, sur des visages poupons, sur des gestes un peu nerveux, comme le regard de ce sifflotant garçonnet, avec ses cheveux entremêlés, qui semblent toujours chercher une excuse pour ne pas vous bondir à la gorge.

Ils sont malades, dans un univers de maladie aseptisée. Et d’ailleurs, aujourd’hui, le Sépulcre et son odeur d’éther lui manque – Vautour est fatigué.

Ses bras longs retiennent une sacoche en cuir usagé. Ses pas claquent – TAC TAC – sur le dallage bichrome. Dans son absence de couleur, il est terne, il est aussi abimé et ancien que le sac de son père. Mais entre dans la classe, se pensant seul à pouvoir préparer son cours. Puis la voit.

Elle est une silhouette si pâle qu’on la dirait Javel – et peut-être bien que c’est le surnom que les petits lui ont donné. Elle traine sur sa chaise dans une posture presque trop droite, malgré son menton qui déchante au haut de son cou gracile. Elle est petite. Elle le regarde aussi. Puis Vautour remarque les liens.

« … to nie prawda… » Soupire-t-il, plus effaré que colérique avant de poser ses affaires et se rapprocher à un pas à peine plus rapide que le rythme auquel il peut habituer. Ses doigts sont comme des serres quand il lui touche le bras. C’est cerclé de violet, ses doigts sont un peu raides.

« Ne bouge pas. Je dois te détacher. » Offre sa voix grave, avec son improbable accent un peu rêche. Guttural. « Quel est ton nom ? Depuis combien de temps attends-tu ici ? »

Pourquoi n’a-t-elle pas crié ? Est-elle muette celle-ci ? Est-elle aphone ou atteinte d’aphasie ? Est-elle à même de comprendre ce qui lui arrive ou n’est-elle qu’une de ces énièmes demeurés qui trainent à l’étage supérieur, eux qui ont besoin d’un peu plus de surveillance et ne peuplent la Maison que dans l’attente d’être transféré plus loin encore, toujours plus loin, hors des vues de monsieur et madame tout le monde qui voudraient, dans leur rêve américain, que la perfection soit appliquée.

Qui est cette enfant ? Que fait-elle ici et que lui est-il arrivé ?

Des emmerdes évidemment. Des emmerdes, comme à chaque âme peuplant cette prison aux barrières de teintes pastels et sécurité enfantine.



     

 
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Mar 22 Aoû - 1:00

Visage indiscret, celui qui ne devrait exister
- Feat : Vautour
Les pas. La branche. Les gens circulent. Combien sont-ils seulement encore, à errer dans ces couloirs ? Plus beaucoup de pensionnaires, d’une façon quasi sûre. Peut-être quelques éducateurs. Des professeurs rangeant les papiers qui leur restent. Fantoche a le temps. Elle a le temps de rester seule avec elle-même. D’entendre l’écho déformé de sa propre voix murmurer dans le creux de ses tempes. Flot bouillonnant d’inconstance. Craintes et pensées éparses. Si on ne venait la trouver que le lendemain ? Si elle passait la nuit seule, dans cette salle de classe ?
Là, s’en est certain, il viendrait la chercher.

Alors, comme s’il avait été entendu, Fantoche lève les yeux et s’immobilise. Plus encore qu’elle ne le peut. C’est le sang, qui s’arrête, qui se glace. Sa gorge cesse même de déglutir, la salive bloquée au milieu. Elle le voit. Il la voit.

Et, malgré elle, ses cuisses tremblent l’une contre l’autre.

Il n’était pas censé venir. Pas maintenant. Pas si vite. Il devait la laisser tranquille. Il… Il s’approche. Quelque chose d’étrange dans son être. Fantoche n’arrive à y mettre le doigt. Quand bien même elle sait qu’elle devrait tourner la tête, éviter de croiser son regard inexistant. Mais bien voilà, cette fois-ci, l’Homme en Noir a des yeux. Et ils sont pénétrants. Elle se noie. Elle oublie presque de remarquer qu’elle comprend ses paroles. Ou alors, elle omet de le notifier. Il est bien normal, après tout, qu’il parle sa langue, c’est bien lui qui hante son esprit. Erre à l’orée de sa vision, quand la langueur s’empare de son corps. Prêt à fondre sur elle, couvrir sa silhouette, l’entrainer si loin. Dans le noir. Et le contact, bien que connu, lui semble tout autant différent. Elle reconnait ces longues serres. Ce sont elles qui tirent sa peau, accrochent ses maigres membres avec force, jusqu’à la déchirer. Cependant, le toucher diffère. Moins froid. Moins brute. Moins vaporeux. Plus palpable. Froncement de sourcils. Fin. Léger.

Cela ne l’empêche point de retenir son souffle.
Elle ne le réalise que lorsqu’elle étouffe. Poitrine bloquée. L’air siffle dans sa gorge, entre ses lèvres sèches, entrouvertes. Elle prie. Il est déjà si proche. Trop proche. Cette fois-ci, elle ne pourra le fuir.

Quand cette pensée la heurte, ses yeux s’ouvrent grands, sont humides. Ils brillent mais elle ne pleure pas. Il y a bien longtemps qu’elle a cessé de pleurer, a appris à se retenir. Comme une enfant sage. Comme une gentille fille qui sait que les Hommes n’aiment pas les larmes. Celui en noir encore moins. Il pourrait s’éloigner, être dégouté, ou pire ;  être en colère. Et Fantoche ne veut pas de la colère de l’Homme en Noir.

« …Fan….toch… » qu’elle s’étrangle. Et elle tousse. Petitement. Avant de se retenir. Elle se pince les lèvres tandis que sa poitrine d’enfant se soulève compulsivement. Elle se mord de toutes ses forces, et secoue la tête. De gauche à droite. De droite à gauche. Le sang se bouscule dans sa tête. Elle se sent groggy.
« …Nie….Nie… » ça pique. Sa gorge. Ses paupières. Elle bat des cils, comme pour chasser la brume qui lui voile sa vision. Elle ne sait même pas à quoi elle dit non. Aux questions de l’Homme ? Ou plutôt, à sa simple présence. Au fait que celle-ci ne lui avait jamais paru aussi réelle.
« …Je… » Son visage retombe vers l’avant. La tête lourde. Sa mâchoire, ses fines lèvres tremblent. Elle n’arrive pas à répondre. Elle ne parvient pas à se concentrer et à traduire pour parler correctement. Pas là. Pas maintenant, alors que l’Homme en Noir la gratifie de ses premiers vrais mots. Parait plus doux qu’il ne l’a jamais été. Si différent. Elle ne sait pas s’il s’agit d’un piège, ou de la réalité. Non, il n’a pas le droit d’être aussi gentil. Il ne peut pas, ou elle devra lui donner quelque chose en échange.

Quelque chose qu’elle a déjà bien trop donné.

Mais elle relève la tête, petitement, tout en levant ses grands yeux – dont les rougeurs se font plus prononcées – vers l’être qui n’aurait jamais dû se montrer. « … Masz twarz ? » lui demande-t-elle. As-tu un visage ? Murmure-t-elle. « … nie masz … » Tu n’en as pas. Répond-t-elle pour elle-même. « Nigdy. »
Jamais.

Il n'aurait jamais dû en posséder.

Et sa tête se rentre dans ses épaules, comme une vaine tentative de se rouler en boule :
« ...Pourquoi tu ... être là ? » Sa voix tremble. Maladroite. L'accent rugueux. Le gout est âpre sur sa langue. Sa gorge picote. Peut-être qu'un peu d'humanité rendra l'Être moins dangereux.
Elle l'espère.

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Dim 27 Aoû - 20:47

     

     
Visage indiscret, celui qui ne devrait pas exister

     

     



Fantoche. Quel drôle de surnom que celui-là. Un de ceux qui le font tiquer de savoir d’où les enfants tirent un tel vocabulaire quand ils sont censés, en plus d’être spéciaux, promouvoir une bêtise presque sauvage et instinctive. Fantoche chouine. Fantoche a peur et Fantoche peur tout en balbutiant des mots en

Polonais ?

Si la première phrase le fait tiquer et peine à être traduite, la seconde est plus brutale et lui fait relever la tête. Etonné et attristé. Un visage ? Une absence de visage ? De quelle pathologie est-elle donc la victime pour balbutier de tels propos et au nom de tout ce qui est encore sain sur terre, que fait cette petite fille à la langue étrangère dans une telle Maison, dans un tel pays ?

« Shht… » S’essaye-t-il de la calmer, rechignant à la défaire de ses liens puisque ses ongles n’y suffisent pas. « Je suis là parce que je suis professeur. Le professeur Cho… » Au vu des circonstances, il lui sera peut-être plus rassurant d’entendre le fameux surnom trouvé par ses pairs qu’un nom, certes polonais, mais peut-être trop compliqué à retenir pour une enfant. « Je suis Vautour, j’enseigne les Sciences. Tu aimes les sciences Fantoche ? Les expériences chimiques tu sais ? » A-t-elle été à l’école seulement ? Ils ne sont pas rares, les illettrés par ici. A commencer par l’auto-proclamé « chef des rats » (pour ce que ça signifie) qu’il voit parfois s’empêtrer dans des formulaires à chercher un traducteur.

Des basanés, des émigrés. Des étrangers, tous condamnés au même diagnostique : ne pas être assez bien pour la Réalité. Une fois de plus, en son cœur mort, Vitold s’en vient à les plaindre.

« Nie płacz, nie chcę cię zranić. Po prostu chcę cię swoimi lin. Spójrz na swoją skórę. Musiałeś zranić. » Ne pas toucher son visage – cela pourrait déclencher une crise. Ne pas lui sourire – certains voient les dents comme une agression. Toutes ces notes en bas de page, la majeure partie fournie par Ours, se bousculent dans sa tête et encore une fois, il peine à retrouver le fil identitaire de cette enfant-là. Il y a beaucoup trop de monde ici pour donner un visage à un paquet de diagnostics.

Et se redressant de toute sa stature, de tout son mètre 90, Vitold revient vers sa table pour y défaire sa sacoche et en sortir une paire de ciseaux à bout rond – les seuls utilisés par ici, pour ne pas que les enfants puissent s’en servir comme arme.

« Ile masz lat Fantoche ? » La distraire, nourrir la conversation et continuer dans cette langue qu’elle semble reconnaître pour mieux passer sa défense et se trouver une place dans ce qui pourrait lui rester de confiance. En chassant le possible malentendu de son instinct sans ambivalence : cette gosse-là a morflé peut-être plus que les autres.

« Jeśli chcesz się wypowiedzieć tych, którzy ci to zrobił, możemy zrobić to razem. Oni już nie boli cię, obiecuję. » Mais que vaut l’autorité d’un professeur face à ses clans, en vérité ? Et que vaut la promesse d’un tordu dans son genre, se moquerait Agatha, si elle pouvait l’entendre.

Pas grand-chose, certainement.


Spoiler:


     

 
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Sam 2 Sep - 11:10

Visage indiscret, celui qui ne devrait exister
- Feat : Vautour
Quelle étrange sensation de familiarité. Un bourdonnement lointain au creux des oreilles – le genre à faire doucereusement vibrer les tempes – qui rappelle à des souvenirs dont Fantoche avait oublié ne serait-ce que la saveur. Un accent trop semblable au sien, peut-être moins maladroit, et le frisson transparait tandis qu’elle écoute l’adulte, l’observant d’entre ses cils longs, si fins. Elle traduit, se concentre. L’Homme en noir est professeur. Elle se surprend de surprise. Doublement coi. Ironie de vie, de situation, quand la petite ignore comprendre mieux les paroles du brun que son propre surnom. Elle n’est même pas certaine que ce dernier puisse signifier quoi que ce soit. Vautour. Elle l’assimile comme son nom. Est-ce un animal ? Elle n’en est pas sûre. Elle demandera mais, pas tout de suite, pas à lui. La méfiance continue de pendre à ses cils, comme les fines cernes assombris par le fusain écrasé, tentative désespérée de sensualité ingénue. Mais, elle comprend le mot ‘‘Sciences’’. Elle l’entend assez régulièrement. Elle arrive même à le lire, à présent. Ours le lui avait écrit – Pauvre Ours, obligé de prendre un temps non négligeable pour tout lui expliquer – quand il lui avait appris son emploi du temps. Ou le lui avait rappelé, plutôt, Fantoche n’ayant pas été capable de l’intégrer du premier coup. Elle n’a pas la notion d’horaires, Fantoche. Ça n’existait pas, du temps où elle passait sa vie à se cacher, roulée en boule sous les draps, dans un coin du misérable appartement poussiéreux. L’école, c’est à peine si elle en a entendu parler et, d’une façon qui ferait rire bon nombre de pensionnaires, c’est La Maison qui lui aura appris ce dont il s’agit.
Alors, Fantoche resitue l’activité. C’est peut-être l’une des plus compliquée, avec des mots très longs, très compliqués. Mais il y a aussi les ex…les expériences oui. Comme il dit. Et ça, c’est amusant. C’est essayer. Suivre. Observer. Fantoche sait observer. Et elle acquiesce sagement à la question. Elle sait, finalement. Elle aime.

Le sujet lui fait presque oublier la situation, comme la corde frotte sur sa peau. Comme l’Homme en Noir est proche. D’ici, il pourrait facilement s’accrocher à ses membres. Elle ne pourrait même pas se défendre. Il pourrait caresser ses cheveux, avant d’arracher de ses ongles de longs pans de cuir chevelu. Mais, il ne fait rien, non. Il veut même la libérer, de ce qu’il dit. Oh, ce roulis étrange de mots à ses oreilles. Elle tremble de plus belle. Depuis combien de temps n’a-t-elle plus entendu le moindre mot de polonais, autre que le murmure de ses propres pensées ?

«…ça va. dit-elle simplement, malgré la brûlure. Les hommes n’aiment pas les filles qui se plaignent. Les filles qui parlent de trop. Le seul moment où leur voix peut être toléré, c’est quand ils les font crier, néanmoins, certains continuent de ne pas aimer ça. Fantoche le sait. Fantoche le craint. Alors elle maintient ses mots. Les questions qui pourraient lui traverser l’esprit. Elle pose chacune de ses syllabes avec précaution, comme si l’Homme en Noir pouvait se retourner d’un coup – ce qu’il fait, avec des ciseaux – pour faire brûler sa joue de sa main, capturer ses cheveux entre ses doigts fins et tirer, tirer. Jusqu’à ce que…

Un haut-le-cœur secoue sa maigre poitrine. Goût acide sur la langue. La bile remonte au fond de sa gorge. Fantoche ravale ces sensations qui peuvent ressembler à des souvenirs. Elle secoue la tête, encore, pour remettre de l’ordre dans ce qu’elle pense – ce qu’elle dit – et c’est compliqué. La petite est obligée de compter silencieusement, de se concentrer, pour – deviner – répondre. Le temps passe différemment quand on ne voit pas la lumière du jour, quand les journées ne sont rythmées que par le pas des bottes sur le plancher. Dans La Maison, encore, elle peut regarder les arbres pour se donner une idée et puis, une fois l’an, il y a ces rituels qui se répètent. Qu’elle n’a pas encore vu se répéter. Ainsi, elle peut enfin savoir : «…Neuf…ans.» Qu’elle pense. Qu’elle suppose. Ça doit être ça. Mais la grimace la prend aux autres paroles de l’Homme en Noir-avec-un-Visage. Elle n’est pas du genre à cafter, même si elle ne se risquerait pas à mentir à l’Entité Sombre. Néanmoins, dans situation actuelle, la vérité seule fait tomber tristement ses épaules :
« …Je…sais pas…» au début, elle voulait savoir. Mince pincée de curiosité. Fantoche se demandait s’il s’agissait des mêmes personnes, celles qui jouent ainsi avec son corps, dessinent sur sa peau pâle. Puis, avec le temps, la polonaise a décidé d’éluder la question, consciente de ne jamais trouver réponse convenable. « …je…dormais. Je dors …tout le temps. » termine-t-elle dans un fin reniflement. Fantoche retrousse de peu son nez minuscule. Si petit sur son visage qu’on pourrait le croire simplement là pour décorer.

Seulement, ses petites dents mordent sa lèvre, la font rougir douloureusement et Fantoche ferme les yeux avec force quand sa tête penche vers l’avant. Sa gorge lui pique. Elle a l’impression d’avoir plus parlé en cet instant qu’en une année entière. Peut-être deux. Quelque part, elle n’était même plus certaine de savoir comment faire. Et cette langue, qu’elle refoule au fond de sa mémoire, pour réussir à s’intégrer au sein de La Maison, réveille des choses qu’elle avait oubliées. Elle se souvient des rares fois où elle pouvait bien manger. Comme elle aime les pierogis. Ceux aux champignons, surtout. Comme elle aime le bruit des cloches des centaines d’églises qui deviennent noires de monde le dimanche. Comme elle aime regarder la neige tomber sur la muraille de la vieille ville, et qu’elle observe l’armée innombrable du Roi Maudit. Celle-là même transformée en pigeons. Alors les mots coulent, sans qu’elle puisse les retenir :

« …Je….m’appelle Kaszia… Cracovie me manque. Je voudrais voir le Dragon. Encore.» Celui qui crache du feu, bien qu’elle n’ait jamais eu une pièce à lui offrir pour ce spectacle. Fantoche se contentait d’attendre qu’un autre môme la lui donne, pour pouvoir contempler les flammes qui sortent de sa gueule de métal.

Et Fantoche regrette immédiatement ses paroles. La Maison n’aime pas qu’on parle de l’Extérieur. Certains gamins lui auraient même déjà tapé sur le crâne pour ça. Même Raspoutine, il serait déçu, s’il venait à l’entendre. Ici, on n’utilise pas les noms, on oublie tout. Il faut ranger cet En-Dehors passé dans une boite et l’enfermer sous le plancher, à un endroit où l’on ne pourra plus jamais y toucher. Le cœur serré, Fantoche papillonne des cils, comme lorsqu’elle se réveille de ses rêves quotidiens. Déjà, les images qui lui étaient revenues commencent à s’effacer de nouveau et son regard se perd sur le plancher de la classe. Elle en oublie l’adulte. Elle en oublie l’Homme en Noir. Elle en oublie que lui aussi, il vient de cet En Dehors et se contente d’esquisser une excuse maladroite dans cet anglais tout autant hasardeux : « …je…être désolée. »

C’est comme si le sang quittait sa tête, quittait son corps.
Comme il a déjà quitté ses doigts violacés.  


* L'italique est équivalent au polonais dans le texte
HRP : Désolé pour la facilité, j'avais peur des erreurs d'accord au passé pour les réponses suivantes
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Dim 3 Sep - 12:45

     

     
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Il se tient penché là, sur elle, les ciseaux un peu écartés. Confrontant ses hauts le cœur comme ses maigres aveux. Découvrant sous son visage lisse de poupée les stigmates d’une vie passée qui ne cesse de la hanter. Et Vitold ne trouve sur le coup, rien à répondre. Rien de probant, rien qui ne soit doux ou caressant, rien qui ne soit rassurant. Alors il déglutit, difficilement. La gorge un peu nouée de cette vie qui entrave la gosse mieux que ses liens. Il pense à ces cordes qui retiennent aux poignets l’enfant, et celles qu’il dessine secrètement. Se trouve soudain sale et malade et coincé dans un étrange piège à loup. S’écoeure, souffle du nez, de son grand pif et se détourne un rien pour ronger tout cela. Pour laisser céder le plastique et la libérer. Se promettant d’être plus sain, d’être plus fiable, d’être plus attentif aussi pour ses élèves qui ont besoin aujourd’hui qu’on leur rende des comptes.

Ils sont nés dans une enfance qui aurait dû être bercée d’innocence et de toutes ces promesses voilà donc tout ce qui reste ? Un semblant de sommeil qui les happe comme une maladie et de la torture quotidienne ? Tout cela est trop injuste.

« Je ne connais pas trop Cracovie… » Murmure-t-il, la voix un peu éraillée. « Je vivais à Solnica, tu sais, c’est tout au nord, près de la mer… » À quelques kilomètres tout de même mais assez proche pour en sentir l’air salin dans les après-midi de printemps, quand le vent souffle fort. « Je suis allé à Varsovie, pour mes études. J’ai beaucoup aimé Varsovie. » Se retrouvant dans cette ville bruyante comme confronté à son implacable solitude et s’en enivrant comme de l’alcool. C’était doux, de faire partie de cette masse étudiante et d’apprendre sa place, perdu dans les visages anonymes de tant et tant de faux-amis. Loin d’Agatha.

« Ne sois pas désolée Kaszia. Ne sois pas désolée. Tu as le droit d’être triste et tu as le droit d’aller mal. C’est de le dire qui est important. De le dire et d’être écoutée. » Les conseils subjugués de ce grand pantin famélique à l’odeur d’ether aurait de quoi faire rire si on ne savait pas, pertinemment, d’à quel point Vautour déteste souffrir. Déteste être malade – et être malade allait lui arriver souvent désormais, dans cette atmosphère quotidienne baignée d’humidité crasse et de longues pluies diluviennes d’automne. Oui le rhume allait le laisser chaos à chaque hiver traître de la Nouvelle-Orléans et les tempêtes feraient le reste.

Sans parler du mal des coups et des injures. Celles-là encore plus, il ne pouvait les supporter.

Les liens tombèrent et saisissant les poignets blessés de la petite, il se mit à les frictionner. Longuement. Cherchant dans sa tête creuse d’adulte une promesse pour lui redonner le sourire en lieu et place de l’espoir.

« Tu sais, je suis professeur de sciences. Et à 9 ans tu fais partie de ma seconde classe, celle du mardi. » Les plus petits étaient avant tout en garderie le lundi. Les 8 à 13 ans passaient deux heures à essayer de comprendre le fonctionnement de leur propre corps. Et les plus âgés, bénis, avaient le droit aux expériences cools. C’était ainsi qu’il avançait.

« Tu pourrais venir le mardi et on pourrait concevoir un véritable dragon. Qu’en dis-tu ? » Un dragon de papier mâché, au souffle chargé de vinaigre et de bicarbonate de soude. De quoi tous leur rabattre le caquet, avec leurs imaginaires purulents d’Envers et de toutes ces choses qui semblaient le suivre comme mille paires d’yeux sur sa nuque rasée. Parfois, les gosses arrivaient à lui foutre les jetons, sans vraiment comprendre pourquoi.

Mais pas Kaszia, pas Fantoche ça non. Elle était adorable et peinée, cette petite. Victime des tumultes de son temps.

« Regarde, tes doigts retrouvent la bonne couleur. » Soulagé de ne pas avoir à l’amener à l’infirmerie et devoir rencontrer le profil désagréable du plus moustachu d’entre eux, Vitold esquissa un sourire et sortit de sa poche une cigarette. « Ça te dérange ? J’en ai besoin. »

Trop d’actions.


     

 
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Sam 23 Sep - 17:30

Visage indiscret, celui qui ne devrait exister
- Feat : Vautour
« … Solnica… oui… et à Varsovie, le grand Parc Łazienki est joli… »

Elle voudrait ne pas se souvenir. Elle ne sait même pas d’où lui viennent ses connaissances. De vagues images. Des sons. Des odeurs. La voix de sa mère. Elle avait une mère. Un tremblement la secoue. Une douleur brûlante pourtant lointaine. Une bulle qui éclate, de la même manière dont les liens se brisent au contact froid de la lame des ciseaux de l’adulte.  Et le Vautour a ces mots tendres. Une douceur qu’elle n’aurait jamais imaginée venant de l’Homme en Noir.  Une indulgence qui fera mal, plus tard, quand il aura perdu son visage et quand ses doigts seront devenus aussi pointus et tranchants que les ciseaux qu’il tient à la main. Parce qu’elle sait qu’il finira par redevenir comme avant, elle ne veut seulement pas songer à quand. Elle lève son regard vers lui, ses yeux trop grands et cernés de noir, elle s’accroche aux détails de son minois comme pour ne pas oublier ses traits, dans le futur. Ah, s’il savait. Si elle savait. Peut-être que ses prunelles de caramel endolori le crient ; cette similarité. Elle non plus n’aime pas être souffrante, parce qu’elle n’en a jamais eu le droit tout d’abord, puis, par habitude. Fantoche – non, Kaszia – doit rester sage et en bonne santé autant qu’elle s’en peut. Sinon, elle attire les ennuis, l’embarras. Les médicaments sont difficiles à trouver, le médecin, impossible à appeler. Qui viendrait les aider, de toute manière, dans leur appartement si sale.  Dans la Maison encore, la crainte persiste. La boule au ventre, la peur d’être un poids. Le mieux, c’est toujours de se laisser dissoudre entre les murs, devenir invisible. Alors, Kaszia crache sur le moindre mal, l’étrangle. Déjà, si tôt – trop tôt – elle a appris à pleurer en silence, puis, à ne plus pleurer du tout. Serrer de ses bras, appuyer de ses mains sur l’endroit qui lui fait mal. Etouffer sa toux, noyer sa fièvre sous les couvertures. Ainsi, rares sont ses visites au Sépulcre et, quand elle s’y rend, elle préfère piquer bandages et désinfectant avant de filer pour se soigner.  Seule. Elle a vu les adultes faire, elle devrait être capable de la même chose - qu’elle se dit.

Par réflexe, ses lèvres se pincent. Si la logique de l’homme parait implacable, comment pourrait-elle parler de quelque chose qui la débecte, surtout dans cette Maison où si peu la comprennent, et encore plus être écoutée. Même si Ours est là, qu’il essaye, tant bien que mal, de lui apprendre l’anglais, de baragouiner en russe ce qu’ils devinent tous deux. Il fait des efforts qu’elle essaye de rendre. C’est là quelque chose de si rare, de bien précieux. Des instants qu’elle chérit comme le battement frêle, mais si rapide, d’un maigre oiseau blotti au creux de ses paumes d’enfant. Cependant, l’apparition de l’Homme en Noir avec un Visage change peut-être tout. Il parle comme elle s’exprime, il a cette aura que Fantoche ressent, si familière. Vautour tient tout d’un passé qu’elle aura essayé, en vain, de réprimer. Alors, il pourrait entendre, ou au moins comprendre. Et la petite polonaise n’aurait plus à chercher des mots qui sont si difficiles, d’origine, pour évoquer ces évènements flous qui la hantent. Ceux-là mêmes qui déchirent ces entrailles, peuplent le décor de son existence de pile ou face à l’Envers vacillant.

Mais, c’est une idée de soulagement qui lui semble trop belle pour être vraie.
Douleur Douceur de sucre pour camoufler l’amer.

Les membres mous, Fantoche se laisse saisir – comme si souvent –  les poignets, bien que le contact lui provoque un gros frisson qui parcourt son dos comme de longs doigts glacés. Ses longs cils clairs papillonnent un peu tandis que les picotements se répandent dans ses mains, qu’elle retrouve l’usage de ses doigts qu’elle remue délicatement, petits doigts blancs et paume gracile de poupée. Et ses pensées vagues s’essoufflent, s’évaporent sous les paroles du professeur – il est professeur, c’est vrai – . Les sourcils de l’enfant se lèvent de surprise. Les sciences, c’est comme de la magie. Il évoque la possibilité de fabriquer un dragon comme l’aisance de la nature. Et son petit cœur, à la manière de celui de l’oiseau, s’emballe trop fort, trop vite. Même s’il ne sera que de papier, son regard de môme verra sans peine les écailles de sa peau, le ronflement de son souffle brûlant, le tressaillement de ses ailes fabuleuses. Ses lèvres s’entrouvrent. Le souffle lui manque. Kaszia ne sait plus exprimer sa joie, l’excitation qui verrait l’enfant commun sautiller et remuer comme le diable dans sa boite. Ses prunelles ne prennent même pas le temps d’observer ses mains qui reprennent vie et elle secoue simplement la tête à la négative quand l’homme demande à fumer.

La cigarette est un mythe fascinant. Un objet que Fantoche ne comprend qu’à moitié tout en le connaissant chaque jour. Depuis longtemps, la fumée envahit son espace, s’empare de ses poumons. Ce tube de papier est si omniprésent dans son existence qu’elle ne se souvient même plus de la première fois qu’elle l’a observé. Les filles fumaient. Les hommes fumaient. Les mômes fument. Et ici encore, les adultes continuent de tirer sur cet objet famélique, répandant ses senteurs sur leurs habits, leurs doigts, au creux d’un souffle nécessiteux. Et Fantoche a eu le temps de l’assimiler à tant de choses. La colère, la peine, l’anxiété, surtout cette dernière. Alors, l’enfant comprend que Vautour émet, lui-aussi, un effort. Que sa silhouette de Giacometti ne se serait jamais penché sur son existence, à l’extérieur.

Ainsi, se pousse-t-elle à l’effort en retour et Fantoche tente le sourire.
Les commissures de ses lèvres se soulèvent difficilement, tirés, et le coin gauche se met rapidement à trembler. Tic maladroit, miséreux, déclenché par la faiblesse d’un nerf trop peu usité. Le tressautement s’accentue avec les secondes et les pommettes de Kaszia rougissent de gêne. Elle pose ses mains contre son visage, puis, maladroitement, descend ses paumes plus bas, juste pour apposer ses index contre les commissures de sa bouche et tirer maladroitement le sourire avec ses petits doigts. Le geste la rend peut-être stupide. Ou bien, il rappelle comme certains mouvements quotidien sont une plaie, à force de ne plus les exercer, comme si elle n’était plus réellement humaine. Pire encore, Fantoche se sent obligée d’ajouter verbalement : « …je suis …contente. » avant de baisser ses mains, le sourire tombant de lui-même, fermant ses poings minuscules contre ses cuisses. « J’aime les dragons. » elle bat des cils une seconde, comme réfléchissant à ses mots, avant de poursuivre « Tu es pas obligé de… faire ça, tu sais. » Être gentil. Prendre du temps pour une môme qui ne changera rien à son existence. Surtout si c’est difficile. Surtout s’il n’en a pas l’habitude.  Elle Kaszia l’observe, lui et sa silhouette si maigre, lui qui l’appelle par son prénom, lui qui parait l’humanisation de ses rêves – ou de ses cauchemars –. Sa langue roule sur ses lèvres abimées, sèches et le plus évident lui vient à évoquer : « Si… tu me fais pas mal, c’est bien. Très bien. »  elle hoche la tête en signe d’appréciation.

C’est le meilleur qu’elle puisse espérer, Fatoche et sa vie pendue au bout d’un fil usé.



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Lun 25 Sep - 21:46


Visages indiscrets

Fantoche



Le craquement de l'allumette est un souffle souffre qui lui vient dans son grand pif et lui pique un peu les yeux. Il expire cette première fumée avec délice avant d'en avaler une seconde, nicotine, avant de baisser les yeux sur Kaszia qui joue les marionnettes. Le sourire tiré en pantin étrange, fantoche oui et ridicule, attendrissante petite chose aux yeux de bébé.

Elle a déjà voyagé si loin. Ayant plus connu son pays en quelques années d'existence que lui en un quart de vie. Elle décrit le parc et prononce les noms comme un chant ancien et elle le touche autant de ses mots, de ce faux sourire et de sa soeur que de ces souvenirs qui l'angoissent et la ravivent.

« Je ne te ferai pas de mal. »
Affirme-t-il sans mentir avant de lui enlever les doigts de ses joues.

« Sois contente sans te forcer. » Murmure-t-il doucement. « Ça me fait plaisir de t'aider à créer ce dragon. »

Qui aura le nom qu'elle voudra bien lui donner. Qui aura la forme qu'elle voudra bien lui créer. Qui ne sera pas tant un monstre qu'une créature millénaire à chevaucher pour l'emporter loin de ce vécu qui suppure comme une mauvaise plaie.

« Je ne suis pas obligé mais j'ai envie de le faire. Si tu as envie bien sûr. »

Mais évidemment qu'elle en a envie. Ses yeux pétillent furieusement et elle est si douce et si petite soudain devant lui.

Qu'as-tu vécu Kaszia, que ses pensées demandent sans bruit. Qu'as tu vu de tes yeux qui ne méritent que les contes et les baisers et les petits plats et les bras tendres d'une maman qui doit sans doute te manquer.

« Kaszia... » Qu'il commence et soudain c'est trop. Ce prénom, cette réalité, ces morceaux d'extérieur qui n'ont aucune loi, aucune présence ici sans l'aval de la Rouge.

Et la Rouge ne peut pas le tolérer.

Alors quelque chose change dans l'air. Et dans la braise incandescente de la cigarette naît une flamme étrange. Trop vive qui manque de lui attaquer la bouche et lui fait tomber la clope sur le sol dans un sursaut.

Une ampoule claque au-dessus d'eux. Et le tableau geint comme frappé.

Vitold se tourne. Plus surpris qu'effrayé.

« Qu'est ce ... »

Mais quelque chose s'est-il vraiment passé ? Étrange. Il se sent comme observé.




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Jeu 5 Oct - 8:15

Visage indiscret, celui qui ne devrait exister
- Feat : Vautour
Elle est molle, la petite. Languissante, c’est sans la moindre résistance qu’elle le laisse relâcher son sourire qui retombe naturellement. Et Fantoche hoche la tête, petitement. Elle comprend, et elle ressent ce plaisir de comprendre, sans user de concentration de toutes ses forces. C’est si rare. Si reposant. La petite Kaszia pose une main, lente, contre sa poitrine. Celle-ci lui parait soudainement moins lourde. Son souffle glisse, sans bloquer, dans les méandres de ses poumons, le long de sa gorge. Elle n’étouffe pas et ressent même comme un vent frais – mais pas désagréable – se répandre jusqu’au bout de ses membres. Soulagement, à moins qu’il ne s’agisse de la réaction mécanique de son corps enfin libéré et où, à présent sang et oxygène peuvent librement circuler. Ses doigts gigotent discrètement, les mains devant elle, juste au-dessus de ses genoux, et Fantoche imagine déjà l’apparence de ce dragon qui sera sien, au creux de ses paumes, des couleurs qui orneront ses écailles à la courbure de ses ailes. Puis, quand la petite entend Vautour parler de selon son désir, elle relève le visage, les yeux brillants, lèvres pincées. C’est un oui, qu’il doit lire sur son visage, un oui qui piaille en silence au fond de ses prunelles de caramel chaud. Pour une fois, Kaszia s’éveille, elle réagirait presque comme l’enfant qu’elle est. Celui qu’elle ignore, après s’être si peu glissée dans sa peau.

L’espace d’un instant, Kaszia oublie la Maison et ses volutes d’ocre et d’âcre.

Mais cette dernière, mère possessive et obsessionnelle, se charge de rappeler sa présence. Sa toute dominance claque dans l’atmosphère. Dans le coton de ses émotions, Fantoche ne réagit qu’après coup à l’étincelle, la danse de la flamme subite et soudaine, le dernier éclat de cette ampoule qui se meurt. Ses yeux s’écarquillent, ses sourcils se froncent et elle secoue la tête.

«…non…non…non…» qu’elle murmure tout bas. Un frisson prend la polonaise, pousse ses fins cheveux pâles à se redresser sur sa nuque, comme s’ils n’étaient pas seuls. Fantoche n’ose pas lever les yeux, observer les alentours. Son regard se fige sur le plancher, sur ses minuscules poings crispés contre ses genoux malingres. Une boule d’anxiété au creux de la poitrine, elle ne veut pas tomber. Pas avec lui qui risquerait de perdre son visage. Peut-être était un message après tout ? Un signal d’alarme pour la prévenir que l’adulte ne resterait pas toujours innocent.
Elle rentre la tête dans ses épaules, avant de glisser lentement hors de la chaise dans un froissement de tissu discret. L’enfant avance à tâtons, refusant de redresser son visage et tend la main maladroitement pour s’accrocher à, ce qu’elle suppose être, la chemise de Vautour.

« … Il faut qu’on arrête. » Sa lèvre inférieure tremble et Kaszia prend tout l’effort du monde pour relever les yeux et accrocher l’attention de l’adulte, lui faisant signe de se baisser, au moins un peu, avant qu’elle ne chuchote, comme un secret. Une prévention. « …Elle est peut-être là…celle qui est dans les murs. Elle n’aime pas ça. »
C’est vague. Probablement trop. Seulement, Fantoche elle-même a encore du mal à saisir toute l’intensité qui se cache en ces lieux. Quand bien même certains pensionnaires semblent la voir comme une sage, ils en oublient que sa présence remonte à pas plus d’un an. Alors, entre les confessions lâchées à demi-mots, les explications vagues et sa difficulté à comprendre la langue, Kaszia était bien mal placée pour présenter tout ce qui se passait entre ces murs.



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Mer 25 Oct - 22:15


Visages indiscrets

Fantoche



Parfois, le pragmatisme s’étiole sous l’instinct. Le cerveau ne cherche plus à se poser de questions et agit selon la logique de l’évènement. Ce n’est pas comme dans les livres où la curiosité nous pousse aux actes les plus absurdes. Ce n’est pas le moment où l’on descend seulement armé d’une bougie tremblotante face à la marée montante des monstres d’enfance. Vitold sent bien que la victoire risque de lui échapper et posant une main rassurante sur l’épaule de l’enfant qui lui fait confiance, décide ici, simplement, de céder.

« Nous ne continuerons pas. » Murmure-t-il et face aux tremblements qui font frissonner chaque pan de mur de la classe, il affirme aussitôt. « Nous ne continuerons pas, Fantoche. »

Dans le mur, quelque chose râpe, le bruit que produirait une corne sur un crêpi frais, quelque chose d’étouffé sans être désagréable. Et il se sent pâlir, lui qui est déjà si blême à l’origine, la peur tricotant des nœuds dans ses tripes fades.

La chose, quelle qu’elle soit, semble pourtant hésiter un instant. Puis les pas lourds s’éloignent, toujours invisible. Un dernier claquement de pierre froide au tableau déjà abandonné et tout revient à sa place – salle de classe innocente, quelques chaises mal rangées, des filaments de poussières dans les derniers rayons du soleil.

Ce n’est qu’un sursit.

Et Vautour se penche brusquement pour s’accroupir aux côtés de la petite fille, caresser son visage, aussi inquiet qu’il est hésitant.

« Tout va bien, ne t’en fait pas. C’est parti. » Mais ce n’est pas très loin. Cela rôde comme un loup ou un requin autour d’une infime goutte de sang. Un mot envers les règles établies ici, et cela s’abattra comme un orage. Il le sent, de ses jointures qui sont douloureuses aux tempes émaciées de son crâne squelettique. Et au loin, le roulement des pneus de caoutchouc de quelques brancards forment une sirène d’un Envers prêt à basculer sous sa moindre chute.

Ce n’est pas encore le moment.

« Rentre à ton dortoir. » Exige-t-il pourtant avec une douceur peu coutumière. « Tu pourras revenir ici comme ça te chante et nous mettrons au point nos expériences. Tu apprendras, mais nous ne contredirons plus ce qui… traîne. Quoique ça soit. D’accord ? »

Pas de polonais mais un bon anglais mâtiné. Pas de regards en coin juste des suppositions. Il espérait secrètement que l’enfant accepte, surtout pour son propre bien. Mais la clef se tenait dans les paumes tremblantes d’une enfant déjà traumatisée.

Elle avait toutes les raisons de fuir sans demander son reste.
Elle pouvait s’envoler à tout jamais sans qu’il ne le lui reproche, même en pensée.









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